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17 mai 2022

Volet 2 du blog pour le SC en 2022

Mon intérêt pour les Africain(e)s, m'a très vite permis de rejoindre "le groupe international" de la délégation d'Arras du Secours catholique, qui s'occupait notamment du partenariat avec le groupe Caritas au Togo que je connaissais assez bien.

Il m'a même été possible de rencontrer plusieurs fois la responsable togolaise de cette identité du Secours catholique au Nord de ce pays africain. En effet elle est venue à Arras, passer un peu plus d'une semaine dans cette délégation, dans le cadre de ce jumelage.

J'ai échangé assez longuement avec cette jeune femme togolaise prénommée "Hélène", qui m'a notamment apprise qu'il existait dans cette région des Savanes, de nombreuses actions intéressantes que je pourrais découvrir sur place en y allant.

Comme je prévoyait de passer deux mois au Togo, dans le cadre de mes missions humanitaires habituelles, j'avais accepté de me rendre prochainement au Nord du Togo, et d'y remettre également des livrets imprimés à Arras, pour des prisonniers à Dapaong, près de la frontière avec le Burkina-Faso. Donc ensuite, je partais dans ce petit pays d'Afrique de l'Ouest, encore plus confiant que les années précédentes.

Mais très vite j'ai "déchanté". Arrivé sur place depuis quelques jours, j'ai reçu un mail de la délégation du Secours catholique d'Arras, précisant qu'elle n'avait plus besoin de moi, et qu'il m'était désormais inutile d'aller à Dapaong. J'ai été très bouleversé par cette nouvelle vraiment inattendue, et après réflexion, j'ai enfin compris ce que je ne pouvais pas comprendre auparavant, mon manque d'adhésion dans cette association religieuse à des pratiques trop laïques pour elle, ne correspondait pas à l'image qu'elle voulait véhiculer dans ce pays.

Ne souhaitant toujours pas modifier mon point de vue sur ce que je ne croyais pas, je continuais même de retour en France, à malgré tout respecter les croyances des autres.  

Mais pour moi, une promesse est une promesse, et j'avais décidé de ne pas tenir compte de ce considérais comme une décision fantaisiste.

Néanmoins, le lendemain de mon arrivé dans le "Litimé" une région verte située à 280 km de Lomé la capitale du Togo, j'ai appris à mon ami dans un village de cette région, parfois nommé "le grenier du Togo", que Caritas-Togo active principalement des actions de développement dans l'OCDI de Dapaong, qui est dans le nord de ce pays, et que je prévoyais d'y aller dans les semaines suivantes.

En janvier 2016, après un long voyage fatiguant, je rencontrais Hélène qui m'attendait. Dès le lendemain, elle me faisait découvrir des personnes intéressantes qui était actrices dans les actions de développement de cette région du Togo, beaucoup plus musulmane que là d'où je provenais.

J'ai aussi assisté mais par curiosité, bien plus que par conviction, car je me devais de voir un rassemblement religieux. En effet je savais déjà que dans toute l'Afrique, contrairement à la France, il n'y a pas de séparation de l'église et l'état, et que par conséquent, ce continent donne vraiment beaucoup d'importance aux religions, même quotidiennement.

J'ai donc ainsi assisté assez tôt dans la matinée, à une messe à la basilique de Dapaong où j'ai vraiment été surpris, car malgré la grande taille de l'édifice religieux, une foule importante se devait de rester en dehors de la basilique.

Puis l'après-midi, après la sieste, car personne ne prend de rendez-vous avant 15 heures, et durant de longues heures, j'ai pu aussi dialoguer avec l'Aumonier de la prison de Dapaong, qui est le centre pénitentiaire de cette région du Togo. Durant cette rencontre agréable, j'ai en outre appris les conditions de vie lamentables et souvent inhumaines des personnes incarcérées dans ce pays.

Le jour suivant, j'ai passé beaucoup de temps avec un groupe de femmes issues de différents quartiers de cette ville de Dapaong, qui pour répondre à des besoins évidents de propreté de leur ville et de tous les corolaires qui l'entoure, ont créées une association qui permet de rendre cette ville plus propre, d'éviter des maladies infectieuses à leur famille, tout en s'assurant un revenu. Cette rencontre m'a beaucoup marqué !!!

Dans la longue discussion qui m'a passionnée, j'ai beaucoup mieux compris la motivation de ces quatre-vingt-deux femmes (toutes n'étaient pas présentes à cette rencontre), ayant une vie très difficile, notamment pour le nettoyage des rues, sur la découverte en commun d'un travail rémunéré, et sur l'impact de la solidarité féminine. Elles m'ont aussi raconté comment elles sont progressivement arrivées à comprendre l'intérêt de l'hygiène collective et son influence sur la santé de leur famille et de leur quartier. Elles m'ont parlé de la joie qu'elles ressentent d'être regardées "comme des femmes qui travaillent" et du respect qu'elles inspirent.

Dans la discussion intéressante lors de ce très long entretien suivi d'une visite des lieux, j'ai aussi retenu certains propos comme :

"Monseigneur Hanrion, évêque du diocèse de Dapaong a mis en pratique sa pensée qui est : "l'annonce de la parole de Dieu ne peut passer que par le développement" en créant le centre formation rurale de Tami puis celui d'Ogaro, tous deux près de Dapaong.

Myriam, une des deux bénévoles qui ont permises cette action, a été infirmière, et après de longues années passées en hôpital, elle a obtenu une retraite du service public en 2008 qui lui a permis de réaliser son "rêve" : partir et mettre ses compétences au service d'une cause humanitaire. Elle a mis tout en œuvre pour atteindre cet objectif. Elle est retournée sur les bancs de l'école pour une formation sur les maladies tropicales et la gestion de projets en santé communautaire.

En novembre 2013, au centre de Tami, Myriam projette la création d'unepremière Association des Femmes pour la Promotion de l'Hygiène (AFPHY). Ce projet inclut le ramassage des ordures ménagères, leur tri, la fabrication du compost et l'utilisation de ce compost dans la fertilisation des terres agricoles. Ce projet a d'abord été présenté à la population locale d'un quartier afin de présenter ce projet sur le ramassage des ordures, le tri sélectif et la valorisation de ces déchets. Projet qui serait effectué par des associations de femmes sous la responsabilité des comités de quartier (CDQ) et ceci à leur demande. Il était aussi nécessaire, afin de rémunérer les femmes, de mettre en place un système d'abonnement et de recueillir l'accord de la population pour que le projet puisse exister et perdurer.

Plus tard, Myriam a pris des contacts pour obtenir de la mairie, dans chaque quartier, un terrain qui servirait de décharge intermédiaire. Elle a également négocié une aide financière.

De fil en aiguille, à la suite d'avatars, d'imprévus, de rencontres bouleversantes, Myriam est parvenue à grouper des femmes autour de ce projet qui lui tenait vraiment à cœur : les former à l'assainissement et les aider à sortir de leur pauvreté par la valorisation des déchets.

Les besoins dans ces domaines sont criants : En parcourant la ville de Dapaong dans tous les sens, Myriam a été frappée par sa saleté. Il y avait des ordures partout, les caniveaux bouchés par ces déchets, le lit des rivières qui servait de décharge et les enfants jouant dedans. Elle a réfléchi, beaucoup discuté avec les responsables de quartier et ceux de la mairie, demandé conseil et ensuite, la première association féminine pour ramasser et trier les ordures, a vu le jour trois mois après son arrivé. Par la force des choses, sont venues des femmes très pauvres, sans aucune ressource, pour qui ce travail a été une bouée de sauvetage.

On ne peut pas imaginer comme ce travail est dur, et pourtant elles l'ont pris à bras le corps, elles se sont battues contre leur mari ou leur famille pour continuer, et maintenant elles sont localement "célèbres" !

Ces 82 femmes sont actuellement dispersées dans six quartiers différents et elles ne passent pas inaperçues avec leurs blouses bleues. De plus, beaucoup se sont souvent jointes à elles pour sensibiliser les élèves des écoles. Ça faisait réfléchir les enfants de voir ainsi leur maman ! Et fréquemment, celles-ci ont donné de bonnes idées. En dehors des tenues qui leur plaisaient beaucoup, les blouses bleues, les chapeaux de paille, les gants, les masques, le reste du matériel pour transporter les ordures, seaux et brouettes, étaient moins appréciés. Elles auraient de loin préféré être motorisées. Sans compter qu'une fois sur la décharge, il restait encore tout le tri à faire : passer toutes les ordures sur une table grillagée, ce qui n'est pas une mince affaire !

A propos de la tenue, les responsables et Myriam ont choisi la couleur bleu vif des blouses pour qu'elles se voient de loin, avec le slogan écrit au dos de la blouse "quartier propre, meilleure santé pour tous". Elles ont été confectionnées par les couturières des quartiers au fur et à mesure de la création des équipes. Le matériel a été acheté en suivant le même rythme et le tout a été financé par une ONG importante.

Trois sessions de formation ont été dispensées avant chaque mise en place d'un groupe de femmes : formation à l'hygiène, formation au tri sélectif des ordures, à la fabrication du compost ainsi qu'à la gestion des fonds récoltés. Toutefois, selon elles, Myriam était persuadée que c'est sur le terrain que ces femmes ont acquis leurs compétences.

Une charte engage les groupes à ramasser les ordures chez les particuliers ou les services (banques, etc…), moyennant un abonnement. A cela, s'ajoute le tri sélectif qui devient une source de revenus supplémentaire pour les femmes : l'aluminium des canettes et la ferraille sont transformés localement par des petits artisans en casseroles et autres ustensiles de cuisine. Le gravillon est vendu à des maçons, les déchets verts et alimentaires servent à faire du compost qui peut être acheté par des maraîcher, ou bien fertilisera leur propre récolte. Elles ont même confectionné quelques trousses avec des plastiques de récupération !

En Afrique, les femmes se réunissent pour travailler ensemble, car elles ont bien compris que, seules, elles n'avaient aucun pouvoir, aucune autonomie. Même à l'heure actuelle elles dépendent soit de leur mari soit des hommes de la famille, père, frère, ou de la famille du mari si elles sont veuves.

En 2014, la mairie de Dapaong avait déjà promis à toutes ces femmes d'être les premières embauchées lors de la mise en place du ramassage et du traitement municipal des ordures sur toute la ville. Ce serait la concrétisation de leur rêve : avoir un vrai travail et être payées régulièrement.

En parallèle, dès 2013, il a semblé important à Myriam, de créer un comité de pilotage qui encadrerait les femmes de toutes les "AFPHY" pour les aider et les soutenir, afin de défendre leurs intérêts dans leurs différentes avec la Mairie, le service assainissement, les éventuels financeurs comme l'UE, etc…

La composition de ce comité a beaucoup été étudié, pour que les membres ressources viennent d'horizons totalement différents, afin de lui assurer une très grande ouverture : un président sociologue, deux trésoriers, un agronome, un représentant de la Mairie, un journaliste, un membre de la croix rouge. La séance inaugurale du comité a eu lieu en septembre 2013, lors d'une réception en présence du maire et de quelques conseillers municipaux.

Dans un document que j'ai lu, Myriam a écrit : "Ces femmes qui m'ont bouleversé, ont une vie de souffrance, elles n'ont rien, elles sont sous le pouvoir des hommes, elles ne sont pas considérées, mais, dès qu'on leur donne une chance, elles font tout pour s'en sortir.

Elles, elles ont très souvent entre quarante et cinquante-cinq ans, elles sont seules avec des enfants ou des petits-enfants à élever, elles sont illettrées et n'ont rien connu d'autre que la pauvreté et la précarité. Et pourtant, elles sont souvent gaies, je les entends souvent chanter et plaisanter, même quand je voie que ces femmes étaient épuisées. Elles sont persuadées que ce travail va leur apporter ce qui leur a toujours manqué : la stabilité et le respect des autres. Je voudrais que tout le monde le sache, qu'on se rende compte que c'est par des femmes comme ça que l'Afrique va s'en sortir. Elles me font penser aux femmes de ma famille qui ont dû lutter pour sortir de la pauvreté et élever leurs enfants correctement. C'était la génération de nos grand-mères et regardez où nous en sommes maintenant. Ce n'est pas idéologique. Je suis persuadé que c'est par les femmes que les sociétés se développeront.

La Pédiatrie, c'est le premier hôpital pour enfants créé par Monseigneur Hanrion en 1970. Il est tenu par les Sœurs Hospitalières et, comme tous les hôpitaux et dispensaires au Togo, il ne désemplit pas : prématurés, paludisme, bronchites, maladies de la peau, toutes ces maladies du manque d'hygiène toujours, de la pauvreté souvent. Et bien sûr le sida. Il y a quatre-vingt lits, deux médecins permanents, une dizaine d'infirmières et de soignants, du personnel de service, peu à ma connaissance, tous Togolais, Béninois, Burkinabés ou Ivoiriens. Les Africains sont toujours en mouvement, dans tous les secteurs, dans toutes les régions francophones. En été, des spécialistes Européens, prothésistes, cardiologues, ophtalmologistes, viennent épauler les médecins, surtout pour l'opération de la cataracte, très répandue."

Lors de cette rencontre, les femmes présentes ont très souvent répondu à mes questions, parce qu'elles avaient comprise que je m'intéressais à ce qu'elles faisaient, et été assez fières de me montrer, ce que leur action apportait à leur milieu.

L'une de mes interrogations a été : Qu'est-ce qui vous a décidé à faire ce travail ?L'uned'elles m'a répondu :

"Parce que c'est bien d'avoir une ville propre. Au début, cela s'est mal passé, parce que les gens nous faisaient honte et maintenant, ils cherchent à nous connaître personnellement. Si certains nous félicitent, d'autres disent qu'une jeune fille ne devrait pas faire un travail aussi sale et, nous on répond qu'on veut arranger le pays en commençant par notre quartier. Ils parlent et nous on s'en fiche, parce que nous, on veut éliminer les maladies. D'autres nous disent qu'ils sont contents de nous payer pour ce travail, et des femmes cherchent à savoir comment on travaille pour faire un groupe comme le nôtre dans leur quartier et dans leur maison."

Je poursuis en lui demandant de me raconter ce qu'elle fait dans la journée. Vous vous levez le matin …

"On se lève, je réveille les enfants, je les lave je les habille, je les fais manger et je les emmène à l'école. Mon mari, quand il se lève, il va s'occuper des poules et regarder le champ, il se lave et il part au service.

Quand les enfants sont à l'école, je fais le ménage et prépare le repas pour midi. Le lundi et le jeudi, je vais ramasser les ordures avec mon équipe et les autres jours, si j'ai des clientes, je leur fais des tresses.

On se débrouille pour nourrir les enfants. Avec mon travail de tresseuse, je gagne pour acheter le maïs et mon mari, me donne pour payer des choses pour les enfants. Le travail de tresseuse me prend entre deux ou trois heures et je peux gagner 500 F.

A la fin de la journée, je vais chercher les enfants. Comme je suis allé jusqu'en 4ème, je peux faire réciter leurs leçons, les aider pour les devoirs et je leur montre comment on écrit. Mon mari rentre à 19 h, je vais chercher de l'eau au marigot, et il va se doucher. Il me donne de l'argent pour acheter à manger et je fais le repas."

J'ajoute : Vous mangez tous ensemble ?

"Oui, on mange tous les quatre ensemble (ce qui n'est absolument pas la pratique dans les familles africaines). On se raconte ce qu'on a vu dans la journée ou si quelque chose est important. Par exemple, des fois, les femmes ne payent pas pour les tresses, mais on ne peut pas crier parce qu'on va perdre une cliente, alors on demande "un peu un peu" chaque fois et on est payé. C'est pareil avec les abonnés qui trainent pour payer à la fin du mois. Je raconte ça à mon mari et il me dit de continuer."

J'ajoute aussi : Et vous personnellement, dans votre tête et dans votre cœur, qu'est-ce qui a changé ?

"Beaucoup de choses ont changé pour moi. Avant on ne savait pas qu'il fallait nettoyer autour des latrines. Si on ne balaie pas partout et qu'on laisse de l'eau dans le caniveau, il y a des moustiques et beaucoup de paludisme. Depuis que je nettoie chez moi, on n'a pas eu le palu dans la famille.

Je vois beaucoup de personnes avec qui je dois parler français et c'est bien. A l'école du village, c'était seulement le moba, mais en ville il faut savoir le français pour communiquer quand on travaille."

J'ajouteégalement : Qu'est-ce qui vous donne le plus de joie ?

"C'est de travailler, ça m'apporte beaucoup de joie. Maintenant mon quartier est propre et je suis très contente, parce que les gens disent que c'est grâce à nous et ils me respectent. Il y a des gens qui me disent "on est en richesse de vous".

J'ajouteégalement : Votre mari, qu'est-ce qu'il pense de ça ?

"Avant qu'on commence, il n'était pas content. Il me disait que ce n'était pas à moi de faire ça. Je lui ai dit qu'arranger notre quartier, notre pays, c'était important, que j'étais contente de le faire et en plus j'étais contente de travailler. J'ai dû parler, parler, parler, jusqu'à qu'il comprenne. Maintenant, il voit que le quartier est propre, il n'y a plus de moustiques, il y a de l'ordre et il me félicite.

Il me dit de ne pas laisser ce travail, de continuer et petit à petit on verra comment notre pays va devenir. Avant il ne savait pas, il me grondait et maintenant il est fier."

J'ajouteégalement : Vous avez des frères et des sœurs, qu'est-ce qu'ils en pensent ?

"Mes frères c'était pareil "tu es allée jusqu'en 4ème et tufais ce travail ?", mais maintenant ils ont compris. Chez eux, il y a toujours le palu. Et comme je gagne un peu d'argent, je peux acheter du savon pour ma mère. Ce sont des choses qui comptent. Mes sœurs me félicitent et elles cherchent à venir avec moi, mais on n'a pas encore assez d'argent pour créer un autre groupe et acheter du matériel."

L'entretien a duré presque deux heures. Il est 11 heures, la chaleur est accablante, la file d'attente devant la Pédiatrie n'a pas diminué. Les vendeuses d'eau en pochette plastique à 10 F essaient de gagner quelques sous. Elles ne viennent jamais vers moi, elles savent que les blancs ne boivent que de l'eau capsulée.

Une autre femme présente ajoute :

"Quand tanti Myriam est venue, elle cherchait 15 femmes pour faire le ramassage des ordures dans le quartier. J'ai commencé à travailler parce que la propreté c'est la responsabilité des femmes, c'est pour nous et nos enfants, afin que tout le monde soit en bonne santé.

On nous a appris à travailler avec les autres, des notions de santé que nous ne connaissions pas et l'argent en plus. On se retrouve deux ou trois fois par semaine et on travaille mieux ensemble. Si on tombe malade, il y a de l'argent dans la caisse pour nous aider. Maintenant, on est plus solidaire.

Avant on souffrait beaucoup, maintenant ça va mieux. Je peux payer l'écolage d'un enfant. Je peux aider mon mari. On a tous une meilleure santé et ça m'a appris à prendre soin de mon corps. Je ne savais pas que, si on ne se lave pas tous les jours, on évite les maladies, et maintenant on se lave tous, tous les jours, avec du savon et pas seulement avec de l'eau. Avec ce que je gagne, je peux acheter du savon pour tout le mois."

Je luis demande de compléter un peu en précisant : Est-ce que vous avez changé, dans votre tête, dans votre cœur ?

"Ça m'a donné la patience, ça me fait réfléchir comment répondre à l'homme. Quand on est ensemble dans un groupe, il faut réfléchir à ce qu'on va faire, on en discute, on essaie de comprendre ce qu'on veut et pour ça il faut être patient et ne pas répondre tout de suite. Moi, avant, je n'avais jamais travaillé dans un groupe et je ne savais pas qu'il fallait écouter avant de dire quelque chose.

J'ai aussi appris à travailler avec la société : la mairie, les écoles, les commerçants. Avant, avec les commerçants, on allait pour acheter, maintenant on y va et on leur propose des choses, on leur demande de grouper leurs ordures. Avant on aurait crié, maintenant on leur dit que s'ils les groupent, ce sera propre plus vite, et certains sont d'accord et ils nous respectent. Surtout quand on y va à deux ou à trois, avec nos blouses, et les gens nous parlent gentiment et nous demandent comment ça va et nous font des compliments. La mairie nous connaît et ils ont dit qu'ils nous aideraient. Maintenant, s'ils ont besoin qu'on vienne nettoyer en plus, ils nous payent un peu, pour le savon. Avant, ils ne payaient personne. C'est tanti Myriam qui les a obligés."

"L'argent nous aide à cultiver le champ, à bien utiliser le compost. On a aussi appris que le compost est plus riche que l'engrais et on fait des économies puisque c'est nous qui le produisons avec les ordures qu'on ramasse.

On sait pourquoi il faut trier les plastiques et le verre à part. On sait que le plastique est dangereux pour les animaux. Avant, quand les animaux mouraient, on croyait que c'était parce qu'il y avait un sort. Maintenant, je sais que c'est le plastique qui gonfle et qui les étouffe.

Des fois mon mari me bat. Quand il n'a pas de travail, il passe la journée au cabaret et, quand il rentre, il veut de l'argent et si je ne lui en donne pas, il me bat un peu. Il me bat mais pas trop fort et pas souvent. Avant je battais les enfants, mais maintenant, j'ai compris qu'il ne faut pas et des fois, mon mari comprend qu'il ne faut pas nous battre. Des fois, on discute et ça s'arrête.

Depuis que je travaille, j'ai un peu plus d'argent, alors je lui en demande moins et on ne se dispute plus. Et puis je discute avec les femmes de mon groupe et on se console. On se parle, on prend un peu du pécule de la cagnotte et on fait une petite fête, on achète des beignets et du tchapalo et on reste un peu ensemble. Avant, j'étais toute seule dans la cour, et j'attendais que les enfants reviennent de l'école. Maintenant j'ai un peu d'argent alors j'achète des petites choses au marché et je les vends dans le quartier.

Des petites choses, un peu de savon, des oignons, des tomates, ce que je trouve qui n'est pas cher, et je revends avec un petit bénéfice."

J'ajoute également : Comment voyez-vous votre avenir et celui de vos enfants ?

"On essaie de garder un peu d'argent pour les enfants, mais c'est difficile. Mon mari qui est chauffeur, ne gagne pas tous les jours, seulement s'il a des clients à livrer. Il me donne de l'argent pour la sauce (petits poissons, et légumes, base de la nourriture), le maïs, l'eau et le savon. C'est lui qui paye l'écolage. C'est lui qui fait les courses, il ne me donne pas d'autre argent."

Je lui ajoute aussi : Qu'est-ce que vous aimeriez que je retienne aussi, de cette rencontre ?

"Il faudrait que les hommes soient plus gentils avec les femmes. Les femmes africaines souffrent beaucoup. Il y a beaucoup de dépenses : si tu n'as pas d'argent, tu n'auras pas d'eau propre, tu n'auras pas à manger et tu ne pourras pas te soigner. Si tu as un enfant malade et que tu n'as pas d'argent, ton enfant va mourir."

Lors de cette rencontre j'ai eu aussi à gérer des propos parfois difficiles à maitriser, car comme ces femmes étaient toutes contentes de s'apercevoir que je m'intéressais à ce qu'elles faisaient, elles s'exprimaient parfois dans une ambiance qui ressemblait à une cacophonie.

Toutefois, je suis parvenu à retenir certaines de ces interventions que j'ai classé par thème :

Il y a eu bien sûr, l'hygiène et la santé

-      "On ne savait pas que le plastique était mauvais dans les champs et que quand il y en avait trop, le grain ne poussait pas."

-      "On ne savait pas que le plastique bouchait les intestins des bêtes et les faisait mourir. On disait que c'était un sort."

-      "Je suis fière d'avoir apporté la santé à ma famille."

-      "On ne savait pas qu'il fallait se laver tous les jours et qu'il fallait bouger pour la santé. J'avais beaucoup de tension et on me disait de faire du sport de temps en temps. Maintenant je suis en meilleure santé, ma tension a baissé (éclat de rire général et renchérissement des gens autour : c'est un travail dur, mais c'est bon pour notre santé)."

-      "J'ai appris la propreté pour moi et les enfants. C'est important de se laver tous les jours, mais des fois l'eau du marigot est vraiment sale. Je peux acheter du savon et ça, c'est une amélioration."

-      "Il n'y pas eu le choléra dans mon quartier cette année."

-      "On fait de la sensibilisation dans les ménages, c'est important pour tout le monde."

D'autres interventions avaient rapport à l'argent

-      Je peux donner à manger aux enfants tous les jours. Je peux leur donner 50 F pour le goûter le matin et c'est la première fois, avant je ne pouvais pas.

-      On n'a pas toujours à demander de l'argent à quelqu'un pour acheter à manger.

D'autres interventions avaient un rapport qui confirmait qu'elles se sentent reconnues

-      Quand on ne passe pas, on nous réclame.

-      Mon mari et mes enfants sont fiers de moi. S'ils n'étaient pas fiers, ils diraient que c'est un travail dégoûtant. Quelques fois, les enfants m'accompagnent, c'est sur le chemin de l'école.

-      Je me suis ouverte aux autres, j'ai appris beaucoup de choses, mes enfants sont fiers de moi.

-      Mes enfants me disent "au boulot" et me demandent de leur raconter ce que j'ai fait dans la journée.

-      Mon mari vient me réveiller le mardi et le jeudi.

-      Je ne suis pas allé à l'école, je n'ai pas appris un métier, maintenant j'ai un petit travail. Deux jours par semaine, je fais comme les autres "qui vont au boulot". Je suis comme les autres.

-      Quand on passe, on nous dit "bon travail les bleues".

-      Au début on se moquait de nous, on disait que c'était un sale boulot, maintenant on nous félicite, on nous réclame.

-      Ce n'est plus un sale boulot, c'est un travail de propreté.

-      Je me lave tous les jours et je lave les enfants. Quand je mets la cuvette sur ma tête, ils disent "maman est émancipée

D'autres interventions montrent que désormais, ces femmes ont une vie sociale

-      Il y a un an qu'on s'est connues grâce à l'association, on a de nouvelles relations, c'est un soutien moral et pas seulement dans le travail.

-      Avant je n'avais pas d'occupation, ma vie est plus intéressante.

-      On connaît les autres groupes, on se réunit, on chante, on est solidaire.

-      Si on n'avait pas l'association, on ne serait pas connues, on n'aurait pas échangé des idées, on ne saurait pas comment les autres vivent. On se soutient quand ça ne va pas.

-      J'attends les deux jours pour parler avec les autres, c'est pour ça, que, des fois on vient les autres jours, surtout à la saison des pluies, on se fatigue moins si on vient une fois de plus et on rencontre les autres, le temps passe plus vite.

-      On rencontre les autres, on chante.

-      J'ai appris beaucoup de choses que je ne savais pas, je suis épanouie.

-      Travailler ensemble c'est très fort.

-      On est unies, avant on était seules.

-      Je pense à ma journée et ça se passe mieux, je sais que je vais faire des choses.

-      Avoir des amies ça a changé ma vie, j'oublie que je souffre, je pense que ça va aller de mieux en mieux.

-      On travaille, on est émancipée. Emancipée, ça veut dire que je peux faire un peu plus ce que je veux sans rien demander à mon mari. J'ai inscrit le grand à la bibliothèque du foyer des jeunes, c'est 850 F et j'ai pu les lui donner au début de l'année. C'est l'école qui leur conseille et l'année dernière, je n'ai pas pu payer.

-      On travaille, on a des uniformes et on nous reconnaît. On gagne un peu d'argent et les enfants peuvent aller à des sorties avec les autres, ou acheter des choses pour l'école.

-      Moi je crois que cette association nous donne le souffle de changer de vie.

Mais d'autres interventions montrent aussi que tout n'est pas si facile, ni agréable

-      C'est trop fatiguant, il faut aller vite, quand il pleut les cuvettes sont lourdes, elles glissent, tombent et il faut recommencer.

-      Il y en a qui jettent leurs seaux de merde dans les ordures qu'on va ramasser et personne ne dit rien.

-      C'est le chef du quartier qui doit le faire, mais il ne le fait pas, il s'en fiche. Depuis que tanti Myriam est partie, on n'est pas soutenues, on doit se débrouiller seules.

-      Il y a des abonnées qui ne payent pas et, à la fin du mois, on n'a pas ce qu'on a gagné. Nous on a décidés de passer de temps en temps pour réclamer, et des fois on récolte 100 ou 200 F, c'est toujours ça. Mais c'est comme mendier alors qu'on a travaillé.

-      On va continuer, on a besoin de ce travail. Oui on va continuer, surtout si c'est vrai que la mairie va nous employer lorsqu'il y aura l'autre décharge, on aura un meilleur travail et on aura des tricycles.

-      Et d'autres reprennent en s'interrogeant: Et nous on aura des motos (éclats de rire).

Sur ce dernier point, une femme seule répond à toutes les autres présentes :

Des motos pour transporter les ordures ? Non, pour nous. Toutes les femmes qui travaillent ont une moto. Celles qui réussissent avec l'homme ont des voitures, et quand il va avec une autre, elles n'ont plus rien. Mais celles qui travaillent ont une moto, on les voit passer et elles ont l'air fière(brouhaha général où on veut savoir comment ça se passe en France dans les familles et pour les femmes qui n'ont pas de mari. Les explications ont été un peu longues et compliquées. Car faire comprendre aux femmes africaines comment marche la société en Europe n'est pas une mince affaire !)

Cette rencontre m'a beaucoup apporté et avec ce que j'avais déjà vu et compris dans le monde rural d'une autre région du Togo, j'ai revu assez vite, ce qui aurait pu paraitre une évidence, alors qu'être femme en Afrique et être femme en Occident, peu de choses sont comparables.

Puis les semaines ont passées, et en rentrant en France, je me devais de présenter au "groupe international" de la délégation d'Arras du Secours catholique, un compte-rendu oral de ce que j'ai constaté au Togo. Dans cet exercice, je me suis limité au minimum, car j'avais jadis compris que le développement que je souhaitais pour ces populations africaines ne correspondait pas à ce qui leur était promis. Effectivement, depuis très longtemps j'ai compris que pour avoir la confiance des gens, qu'ils soient français ou étrangers, il fallait d'abord respecter ses engagements.

 

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